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Portrait du mois - juillet 2025

2025-07-29 14:34:52
Portrait

Hugues Pirotte est directeur du Master en Ingénieur de Gestion à la Faculté Solvay Brussels School au sein de l’Université Libre de Bruxelles. Depuis 2 ans, il collabore régulièrement avec Schola ULB dans le cadre de missions en conseil analytique et stratégique des séminaires d’entreprise adressés à ses étudiants en dernière année. Il a accepté de nous partager son regard sur Schola ULB ainsi que de sa riche collaboration avec celle-ci. Voici son interview : 

 

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Mr Pirotte : « Fort d’un bac vénézuélien, et en grande partie dû à la situation sécuritaire qui se détériorait fortement malheureusement, je suis revenu en Suisse pour passer la maturité fédérale, nécessaire vu mon diplôme “exotique” pour l’Europe, avant d’entreprendre des études à HEC Lausanne. Après un master en banque et finance, j’entrepris des études doctorales pendant lesquelles je pu travailler dans un domaine qui avait le vent en poupe grâce notamment à ma directrice de thèse, Rajna Gibson, et un jury international de renom dans le domaine. C’est grâce à son impulsion qu’à la fin de ces études, on créa une société d’expertise et de conseil en gestion des risques financiers avec deux de mes collègues de doctorat, d’abord à HEC-même avant de migrer vers l’incubateur de l’EPFL (Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne). Mais l’enseignement et la recherche et développement de nouvelles méthodes en matière de modélisation financière et de gestion de données financières, allaient me pousser à continuer aussi la carrière académique. Ayant enseigné à HEC Lausanne-même au départ grâce à un autre professeur, Didier Cossin, nul ne prêchant dans son propre jardin, j’effectuais des recherches pour une position dans mon domaine, pas trop loin de Genève en regardant quelles personnalités contacter dans une série d’institutions académiques. A l’ULB, je tombais sur André Farber et, le reste est de l’histoire, comme on dit.

Je tiens à raconter cette histoire car au Vénézuéla, ma première école en primaire était à 350 kms à l’est de Caracas, où le sable passait à travers la classe à chaque bouffée de vent, avec deux années dans la même classe en parallèle, tandis que je bredouillais de l’espagnol, entré dans mon crâne à la force de ma mère et de son Assimil pour que je sois accepté à la rentrée. Et le fil de l’eau de la vie m’a conduit tout de même à savoir me défendre fort de compétences acquises, à aller à l’étape suivante, et de croiser le chemin de personnes qui ont permis le virage inattendu à chaque fois…depuis ce professeur de Puerto La Cruz qui a cru dans mon drôle d’espagnol. C’est ce qui me motive à jouer le rôle de catalyseur moi-même aujourd’hui. »

 

 Comment avez-vous entendu parler de Schola ULB la première fois et comment est née la collaboration entre votre Master à Solvay et Schola ULB ?

Mr Pirotte : « Schola ULB est une initiative que j’ai pu connaître à travers les campagnes de communication et les recommandations de collègues à l’ULB. Un délégué m’avait aussi parlé de Schola ULB ayant été étudiant-tuteur pour cette asbl au début de ses études.

Dans le Master en Ingénieur de Gestion que je dirige, nous avons des “séminaires d’entreprise” (ou “field projects” en anglais) où nous donnons la possibilité à nos étudiants de fin de cycle d’effectuer des missions de conseil analytique et stratégique. Au départ ces projets étaient surtout apportés par des collègues externes appartenant aux sociétés de conseil. Mais avec le temps, la diversité des parcours, les besoins de gestion rencontrés dans d’autres contextes, mais aussi la grande richesse de sujets qui peuvent s’offrir aux étudiants, nous avons décidé d’ouvrir la voilure des possibilités. L’important est de les exposer un maximum à toute une série de réalités professionnelles dans des contextes où, in fine, ils sont souvent positivement impressionnés du professionnalisme et des personnalités qu’ils rencontrent, quels que soient la taille de l’entreprise, sa structure ou encore son caractère privé, public ou associatif, ou encore un modèle hybride de deux ou trois d’entre eux. Une de nos missions est de former l’œil critique des étudiants, de leur permettre de choisir en toute liberté de conscience leur début de parcours après les études.

En parallèle et depuis un certain moment, avec d’autres collègues, nous avons aussi constaté un besoin grandissant chez nos étudiants de savoir à quel “higher purpose” (ou « raison d’être supérieure » en français) leurs études pouvaient les amener ou leur permettre de contribuer, au-delà ou à côté de former des personnes techniquement fortes. La gestion et l’économie appliquée font partie des orientations universitaires qui permettent de nombreux débouchés, mais le risque d’avoir des jeunes qui ne savent toujours pas quoi faire à la fin de leurs études universitaires est bien réel.

Parmi les objectifs de développement durable que nous intégrons à notre propre cadre de mesure pour l’Institut, nous retrouvons “l’éducation de qualité”, qui est précisé comme suit: “Assurer à tous une éducation équitable, inclusive et de qualité et des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie” (https://sdgs.un.org/fr/goals).

Je pense qu’il était du coup tout à fait naturel d’intégrer des projets pouvant contribuer à l’essor d’associations telles que Schola ULB parmi ceux de notre master. Ceci est en parfaite adéquation avec les volontés et objectifs présentés plus haut, ainsi qu’avec mon propre parcours. »

 

 Quel est l’intérêt pour des étudiant·es en Master en Ingénieur de Gestion à Solvay de mener un projet de fin d’études dans le secteur non-marchand ? Quels bénéfices vos étudiants retirent-ils de cette immersion dans le monde associatif ?

Mr Pirotte : « Ma réponse découle directement de ce que j’ai expliqué plus haut. J’ajouterais que nous avons pendant longtemps vu et traité le privé, le public et l’associatif, comme étant des orientations indépendantes et relativement mutuellement exclusives, voire peu communicantes. Et aussi que la philanthropie de ceux qui ont bien réussi pourra toujours alimenter les besoins non-couverts par le privé ou le public. Mais qu’elle que soit notre orientation idéologique ou pas, en tout état de cause, on ne parle ici que du point de vue financier. Est-ce que le public, l’associatif ne mériteraient pas de continuer à recruter des personnes hautement compétentes aussi pour mieux réussir dans leur mission? Est-ce que l’on doit vraiment choisir l’un ou l’autre? N’y a-t-il pas des initiatives public-privé, privé-associatif, voire la possibilité de contribuer en parallèle à un autre? Chacun, chacune aura son mot, son approche, sa théorie, et qu’il est en soi ainsi, mais nous avons le devoir quelque part de montrer la diversité des possibles durant les études et d’éveiller l’œil critique pour que ce choix soit conscient.  »  

 

 Avez-vous un souvenir marquant ou un projet particulièrement inspirant issu de cette collaboration ?

Mr Pirotte : « Il y en a beaucoup des souvenirs… Un des plus marquants et caractéristiques est celui d’un groupe qui faisait part d’être positivement impressionné du professionnalisme, de l’esprit d’entreprendre rencontrés, et des besoins de gestion comme dans toute autre entreprise. Dans un autre cas, un groupe comptait parmi ses membres un ancien tuteur qui était content de voir l’envers du décor, les efforts qui sont réalisés pour la durabilité de l’approche et de pouvoir y contribuer à nouveau. Un autre groupe avait été impressionné par le côté multi-facettes du métier et du fait que c’était “finalement” très riche puisqu’on y retrouvait toutes les disciplines de la gestion couvertes et que bien qu’on ait une compétence spécifique, il fallait pouvoir intégrer l’ensemble dans le fonctionnement de l’équipe, expérience qui n’est atteignable qu’avec beaucoup plus de séniorité dans de plus grandes entreprises et à un certain niveau. Finalement, un souvenir assez poignant: la réalisation qu’il y a encore d’énormes disparités en termes d’accès à l’éducation et le constat de contrastes importants dans la connaissance préalable de ce fait à l’intérieur du groupe-même. »

 

■  Parmi les volontaires du Programme Tutorat, nombreux font leurs études à la Faculté Solvay. A votre avis, quelles compétences pensez-vous que les étudiants développent avec un volontariat tel que le tutorat ? Quelle est votre vision de l’engagement étudiant ? 

Mr Pirotte : « Je pense premièrement qu’ils témoignent ainsi de leur capacité à s’engager dans une mission à côté de leurs études, déjà lourdes, et de relever un défi qui les place hors de leur zone de confort. Aussi, il n’y a rien de mieux pour maîtriser une matière que de devoir l’enseigner, d’autant plus dans des contextes divers et variés. Et enseigner, c’est s’assurer de partager réellement un savoir, de faire parvenir la logique derrière un concept, d’essayer de comprendre pourquoi une autre personne ne la voit pas directement comme nous, bien au-delà de comprendre soi-même. C’est donc adopter une réflexion naturelle vers l’autre. Dans le contexte professionnel, on doit s’adapter au travail en équipe, avec des personnes que l’on nous impose ou qui s’imposent à nous, on doit pouvoir fonctionner ensemble et le tutorat est une école de la vie à cet égard.

Au vu du rapport valeur-coût des études universitaires dans nos contrées, la reconnaissance et le respect de cet avantage, l’entraide, l’implication de tous pour qu’il continue de fonctionner me paraît être une attitude normale et salutaire. Nous savons tous que les problèmes plus tard ont souvent leur origine bien plus tôt. Et ces jeunes tuteurs permettent une meilleure intégration de la génération qui suit. Je tire donc mon chapeau à ces jeunes qui décident de dédier un peu de leur temps aux autres. Ceux qui démontrent être responsables, empathiques, désireux de se réaliser à travers l’élévation des autres, méritent notre reconnaissance et celle du monde professionnel qui bénéficie des compétences apportées par le système. »

 

 Vous pilotez le Solvay Impact Institute ? Comment est née cette initiative? Qu’est-ce qui vous motive à vous engager dans le domaine du financement à impact ? 

Mr Pirotte : « Le Solvay Impact Institute est né d’un constat partagé pendant et après la crise Covid. Comme je l’ai dit, ci-dessus, force est de constater qu’une proportion non-nulle de jeunes qui font des études de gestion car cela permet de nombreux débouchés, terminent leurs études sans passion ou se demandant quel est ce « higher purpose » qu’ils voudraient ou devraient poursuivre. Et nous avons été plusieurs à nous dire que si nous voulions insuffler de la passion, il fallait qu’on la ressente nous-même. La notion d’Impact et plus particulièrement ensuite celle de l’Impact Investing, dans lesquels certains membres de notre groupe s’étaient particulièrement investis ces dernières années, nous est vite apparue comme un excellent moteur motivationnel pour tous. La volonté d’apporter des solutions en matière sociale et environnementale n’est plus cantonnée aujourd’hui à certaines idéologies. C’est devenu le devoir de tous et de toutes face aux défis que nous allons devoir surmonter. Il ne s’agit pas non plus de devenir experts en taxonomie, capables de rédiger de beaux rapports ESG (= Environnement, Social, Gouvernance) avec les termes-clef nécessaires, mais de se dire que quoi que l’on fasse, il y a la place de se poser la question de quel sera l’impact positif, social ou environnemental, que tel ou tel projet peut générer. Nous avons donc décidé de créer le Solvay Impact Institute (SII), symbiose entre enseignement et recherche appliquée, où le Master en Ingénieur de Gestion représente le programme-pilote pour la partie enseignement. Le SII définit également ses objectifs d’après un cadre de mesure basés sur les objectifs de développement durable des Nations Unies, avec une intention d’impacts directs, comme celui de l’éducation, ou indirects à travers les thématiques des nombreux projets proposés aux étudiants, autour de cinquante par an. »

 

 Quels conseils donneriez-vous à d’autres institutions académiques souhaitant s’engager dans des projets à impact ?

Mr Pirotte : « Je n’aurais pas la prétention de donner des conseils dans une mission qui est en mouvance permanente: les méthodes d’éducation, les moyens technologiques, les compétences nécessaires au monde professionnel, les évolutions de styles et de défis générationnels, l’équilibre entre compétences individuelles et en équipe, entre les “hard” et les “soft” skills (même si ces termes ne sont pas les plus appropriés)…

Ceci dit, je pense qu’il est difficile de motiver toute personne à poursuivre de longues études dans des matières parfois indigestes, si la raison, l’utilité ou tout simplement le “Pourquoi?” se résume à un “Parce que.”. Ernest Solvay a fondé l’Ecole de Commerce au début du 20ème avec une vision et une mission bien précises pour l’époque, par rapport au contexte économique qui était le nôtre. Un besoin a amené l’outil. Un très bel outil. Aujourd’hui, la boîte à outils ne cesse de grandir et d’évoluer. Et il faut ramener le besoin dans l’équation.

Et puis, il n’y a pas que les écoles de gestion ou de commerce. Toute faculté universitaire est un endroit propice pour apporter de nouvelles solutions. Un nouveau filtre à eau pour la rendre potable en Afrique sub-saharienne, réalisable avec des matières locales sans grande complexité,…, ou une sonde médicale révolutionnaire produisible sur place, quel impact! Et pas parce que quelqu’un a mis une étiquette, un score, une “disclosure” qui contient tous les mots-clef de la taxonomie, ou un ranking dessus… On parle de la pluridisciplinarité depuis longtemps déjà, mais elle n’a peut-être jamais été aussi nécessaire qu’aujourd’hui pour les défis qui nous attendent. Or, dans le monde universitaire, cela revient à faire travailler des chercheurs et des spécialistes sur des projets ensemble tandis que la reconnaissance vient uniquement de nos pairs dans nos spécialités respectives. Tout un défi! Pourquoi pas un Solvay Impact Institute pour être le catalyseur et le lien justement ? »

 

 Comment imaginez-vous, à l’avenir, les collaborations entre le monde universitaire, les secteurs privé et associatif ? 

Mr Pirotte : « Elles sont cruciales. Elle l’ont toujours été. Chacun a besoin de son indépendance de jugement, de pouvoir définir les valeurs qu’il veut défendre, d’avoir sa liberté d’entreprendre. Mais ils ne peuvent pas être trop éloignés les uns des autres, car leur force sera dans leur interaction, leur résonance ensemble. La capacité historique de la Belgique à développer d’excellentes compétences locales a permis de créer, garder et attirer des entreprises sur notre sol. C’est une valeur inestimable à bien des égards, mais dont les effets ne se font sentir que sur le moyen/long-terme. L’associatif quant à lui couvre d’énormes pans de besoins non couverts par le reste, mais qui leur permet indirectement de fonctionner aussi. C’est parfois inquiétant quand l’associatif devient la solution par défaut face à des situations qui devraient ne pas exister en premier lieu. Dans un registre moins noir, son indépendance lui permet également d’identifier de belles opportunités, de former des talents différents, en n’étant pas soumis aux mêmes contraintes que d’autres secteurs. Tout jeune qui est reboosté par un tuteur Schola ULB est un évènement triplement bénéfique pour la société pour les années à venir. Mais c’est un secteur également dépendant de beaucoup de subsides, directs ou indirects, et donc du contexte économique autour.» 

 

Bonus : Si vous étiez un sport, lequel serait-ce ?

Mr Pirotte : « Question difficile…dont la réponse risque d’être biaisée par les sports que l’on pratique ou que l’on a pratiqué. 😉

La voile…sous la forme d’un catamaran en équipe. Tout est réuni. Les conditions qui nous sont exogènes, que l’on essaie de maîtriser, d’apprivoiser. Le vent va où il veut mais tout en ne pouvant rien y changer, nous pouvons tout de même décider de notre parcours, choisir une stratégie pour parvenir à l’endroit désiré de la manière la plus efficace. Et puis, il y a l’équipe. Le ou la skipper doit être synchrone avec l’équipier chargé de la gestion des voiles, tout en ayant des compétences différentes. De temps en temps, les conditions sont extrêmes, il faut savoir “prendre un ris” dans la voile, savoir quand la prise de risque est trop importante, pour soi mais aussi pour les autres. Et comme souvent, c’est quand on se sent trop à l’aise, trop au dessus de tout, que l’on chavire… Tant qu’on a la modestie d’apprendre des petites erreurs, et qu’elles sont possibles, pour éviter de plus grosses et graves plus tard, rien n’est perdu. »